Tout à l’heure après le déjeuner, j’aidais à essuyer la vaisselle en souillarde. Alors que l’on venait de finir de s’occuper des couverts d’un panier et en attendant que le panier suivant ait fini son tour de machine à laver, je suis sortie quelques instants dans la pièce commune pour m’éloigner du bruit et mon regard s’est perdu à travers les fenêtres. S’en est suivi un de ces moments si spéciaux… Les connaissez-vous aussi ?
J’ai soudainement vécu l’instant présent de manière extérieure à ma vie. Comme si je sortais d’un songe de longue durée, un clignement des yeux a suffi à lancer le mécanisme : ces lieux, ces bâtiments, ces arbres, ces meubles, c’est comme si je les découvrais pour la première fois. Alors que je ne les regardais plus vraiment depuis des mois, chaque détail a attiré mon attention comme au premier jour. L’espace temps s’est figé, je n’avais plus conscience de la présence d’autres personnes autour de moi. Je me suis demandé si la Vie est réelle, si la réalité ne résidait pas en cet instant de lucidité et si j’allais replonger dans le rêve quelques instants plus tard sans garder souvenir de ce moment de conscience.
Et puis le lave-vaisselle s’est arrêté, me happant de nouveau dans ma vie d’hivernante.
Liste non exhaustive …
… des choses qui vont indéniablement me manquer quand je quitterai cette île :
Descendre de Géophy le soir pour aller dîner, et entendre les cris des otaries résonner dans la nuit,
Pouvoir laisser la porte de chez soi constamment ouverte, ou les clés sur le véhicule dehors,
Ne jamais craindre qui que ce soit même en se baladant au beau milieu de la nuit ou en dormant à la belle étoile en pleine Nature ; je me rappelle avec nostalgie de mes premières semaines sur Ams où je trouvais particulièrement « anxiogène » la montée à Géophy de nuit, avec le bruit des portes des mansardes claquant au vent et l’obscurité poussée. À chaque fois, je réalisais avec bonheur après un instant que personne ne pouvait possiblement surgir de nulle part pour m’agresser, que j’étais en sécurité,
La vue quotidienne sur l’océan d’un côté et les cratères volcaniques de l’autre,
Pouvoir courir sous la pluie en maillot de bain en plein hiver sans jamais attraper froid ; bon je n’ai pas été jusque là tout de même, mais le fait est qu’il est absolument magique de pouvoir faire tout ce que l’on veut sans jamais tomber malade. En métropole, j’aurais attrapé au moins 5 rhumes dans les mêmes conditions cette année,
Être témoin d’arcs-en-ciel à tout va, en sortant de Géophy, en sortant de Pointe B (hier encore, un arc entier), au-dessus des cratères, tombant dans l’océan, partout, tout le temps,
Manger au resto tous les jours, quand même !
Aller boire le thé à la poste,
Aller manger du chocolat à l’hôpital,
Les PUPS ! Les pups, les pups, les pups 😥
La confiance que m’accordent certaines otaries sur le chemin de Pointe B, ne bougeant plus d’un poil lorsque je passe à quelques centimètres d’elles allaitant leur petit, et me regardant juste avec leurs grands yeux doux,
Les pups…
Marcher 1h pour aller/venir au travail, à travers rien d’autre que la Nature, le silence, les oiseaux et les vagues,
Les scenarii catastrophe qui occupent parfois mon esprit sur le chemin de Pointe B et me font bien sourire au final : je m’imagine découvrant un bateau au loin, s’approchant de la base, l’attaquant, j’imagine alors comment j’essaierais de me réfugier à Pointe B, de joindre les TAAF en urgence pour les avertir, de sauver tout le monde. Mais évidemment, jamais un bateau n’a pointé le bout de son nez à l’improviste x) (Note de moi-même en relecture de cet article avant de l’envoyer, plusieurs jours plus tard : figurez-vous que c’est arrivé hier ! Je vous en parlerai prochainement) (un bateau imprévu hein, pas une attaque armée) ( ..)
Les nuits étoilées et la Voix Lactée,
Les pups et les otaries T__T,
La créativité forcée, poussée par l’isolement et le peu de ressources disponibles, dont nous avons pour beaucoup fait preuve tout au long de cet hivernage,
Les gens. Avoir du monde en permanence autour de soi, tout en pouvant s’isoler quand le besoin s’en fait sentir. Avoir constamment des amis à portée de voix pour parler, rire, jouer, partager, se prendre dans les bras, ou juste être là.
To be continued.
Chose promise depuis longtemps, voici en photos la présentation de mes deux lieux de travail : Géophy sur base et Pointe B à plus ou moins deux kilomètres de là !
Géophy
Le Bâtiment Géophy est le deuxième plus haut (en altitude) de la base après la Mosquée (traitement des eaux de pluie). On y trouve les bureaux de tous les VSC IPEV : l’ornitho-éco (Marine), le géner (Boris), le magné-sismo-info (Quentin), le CO2 (Guillaume), et le mercure (moi-même). On y trouve aussi, d’OP3 à l’OP1 suivante, le VSC ornitho (Nicolas qui nous a quitté en Avril dernier).
Porte à porte et en marchant, de Géophy au Sterne (bâtiment où se trouve ma chambre ainsi que celles des autres VSC IPEV), il faut compter 2min15 ! Notez que le sens est important, du Sterne à Géophy ça monte, et il me faut donc rajouter 18 secondes au compteur 😀 (NB : ces valeurs ont été chronométrées avant la reprise du sport à l’OP2, je suis sûre que j’ai gagné quelques centièmes depuis !)
En plus des bureaux (une pièce partagée par Marine, Boris et Quentin, et une autre pièce pour Guillaume et moi), on trouve à Géophy un labo de développement photo argentique, un labo de chimie, une salle blanche de chimie, un atelier, un salon avec une mini cuisine, des WC (woohoo), et une mini salle où l’on peut produire de l’eau « milliQ » pour la chimie.
Prêts pour la visite guidée ? Let’s go 🙂
Et voilà, vous avez fait le tour quasi complet de Géophy, comme si vous y étiez ! Je vous emmène maintenant à 30 minutes de là, au niveau de la station atmosphérique de Pointe Bénédicte.
Pointe B
Je mets en général 25 minutes pour me rendre à pied du BCR (où j’inscris mon nom sur le tableau des sorties hors base et j’emprunte une radio) jusqu’à Pointe Bénédicte.
Je peux même être légèrement plus précise et vous confier (Guillaume m’a fortement conseillé de ne pas l’écrire ici pour ne pas révéler au monde entier à quel point je peux être étrange parfois) qu’il y a exactement 2746 pas entre la porte d’entrée du Sterne et la porte d’entrée du bâtiment principal de Pointe B 🙂
..
OUI, j’ai compté, et OUI j’assume haha. Il faut bien varier les occupations sur ce trajet pluri-hebdomadaire ! Hm. (anciens VATs passant par là, rassurez-moi, je ne suis pas la seule ?)
Si vous avez pris le forfait double pour la visite guidée, il est temps de me suivre par ici aussi 🙂
La visite s’achève ici, si vous l’avez appréciée je vous emmènerai sûrement faire un tour dans le Skua, bâtiment de vie commune sur la base. Tableaux de missions, salle de cinéma et cuisines seront au programme !
On se quitte avec deux petites photos d’ambiance Géophy, et je vous dis à très vite pour une balade au Mont du Fernand 🙂
❤
Encore une fois c'est un régal de te lire.
Avec un petit pincement au cœur toutefois, j'aurais bien aimé passer pour une 4ème campagne d'été 😉
Des bisous à tous !
Un mot devrait suffire : GENIAL !
J’allais dire « comme d’habitude », mais la surprise et le plaisir sont toujours renouvelés, pour ne pas écrire améliorés…
Alors, oui, GENIAL !
Merci, Isabelle, et… à bientôt.
Cela fait plaisir de découvrir l’environnement dans lequel toi et tes « collègues VSC » travaillez. On peut ainsi vous imaginer au boulot avec plus de précision 😉
Je mesure toute l’evolution de la base d’ams depuis ma présence sur l’ile en 1963 ,superbe t’es explications. J’ai participé à la construction du premier hôpital en dur c’est très émouvant de voir tout cela .merci pour tout 😊😊
Superbe article! Et je suis ravis de retrouver ma patte dans quelques une de tes photos 🙂
Quant au nombre de pas entre le Sterne et Pointe B, je te confirme que tu dois bien être la seule à avoir compté! En revanche, pour le scénario catastrophe, j’avoue, j’y ai pensé aussi ^^.
Je n’ai jamais compté le nombre de pas en BCR et pointe B. mais je me suis fait plein de films comme toi, l’attaque surprise (avec ou sans extraterrestres), l’éruption volcanique, les créatures marines, …
Ce que j’adorais en hiver pour le retour, c’est écarter les pans de mon manteau comme une chauve souris, je faisais des bonds avec le vent…
Et puis les WEs d’étalonnage radon en hiver à Pointe B dans l’humidité et le recueillement…
Merci pour ton blob,
François Radoniste AMS 44
PS : j’ai fait mon stage avec LA Bénédicte et LE George Pollian
Bonsoir François, je ne vois ton commentaire que maintenant !
Ils sont nombreux, les scenarios d’aventure qui sont passés par nos têtes sur ce petit sentier et qui donneraient de fabuleux romans ! Cette île a été pour moi et est encore aujourd’hui la plus grande source d’inspiration pour écrire, que ce soit dans le réel ou dans le fictif.
Le bourrasques d’hiver m’ont marquée aussi, les avoir dans le dos ou de face à l’aller/retour changeait radicalement le temps de trajet et le confort visuel haha.
Tu parles de ton stage de préparation à l’hivernage ? J’ai été attristée d’apprendre le décès de Bénédicte durant mon propre séjour, et ai confectionné en sa mémoire une affiche expliquant son implication dans la recherche sur Ams que j’ai affichée à Pte B.
20 octobre 2016 at 10:20
❤
Encore une fois c'est un régal de te lire.
Avec un petit pincement au cœur toutefois, j'aurais bien aimé passer pour une 4ème campagne d'été 😉
Des bisous à tous !
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20 octobre 2016 at 11:13
Un mot devrait suffire : GENIAL !
J’allais dire « comme d’habitude », mais la surprise et le plaisir sont toujours renouvelés, pour ne pas écrire améliorés…
Alors, oui, GENIAL !
Merci, Isabelle, et… à bientôt.
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20 octobre 2016 at 12:28
Cela fait plaisir de découvrir l’environnement dans lequel toi et tes « collègues VSC » travaillez. On peut ainsi vous imaginer au boulot avec plus de précision 😉
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20 octobre 2016 at 13:12
Je mesure toute l’evolution de la base d’ams depuis ma présence sur l’ile en 1963 ,superbe t’es explications. J’ai participé à la construction du premier hôpital en dur c’est très émouvant de voir tout cela .merci pour tout 😊😊
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20 octobre 2016 at 20:06
Très bel article, j’ai adoré l’instant arrêt sur image, très visuel…on y est! Merci Isabelle pour ces moments d’évasion
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20 octobre 2016 at 21:56
Superbe article! Et je suis ravis de retrouver ma patte dans quelques une de tes photos 🙂
Quant au nombre de pas entre le Sterne et Pointe B, je te confirme que tu dois bien être la seule à avoir compté! En revanche, pour le scénario catastrophe, j’avoue, j’y ai pensé aussi ^^.
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23 octobre 2016 at 21:02
Merci Isabelle pour ce partage. C’est un plaisir de te lire et les photos nous font davantage comprendre ce que tu vis à Ams.
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24 octobre 2016 at 12:06
Oh, ça fait plaisir de voir à quoi ressemble les endroits où tu travailles =)
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8 juin 2019 at 16:50
Bonjour Isabelle,
Je n’ai jamais compté le nombre de pas en BCR et pointe B. mais je me suis fait plein de films comme toi, l’attaque surprise (avec ou sans extraterrestres), l’éruption volcanique, les créatures marines, …
Ce que j’adorais en hiver pour le retour, c’est écarter les pans de mon manteau comme une chauve souris, je faisais des bonds avec le vent…
Et puis les WEs d’étalonnage radon en hiver à Pointe B dans l’humidité et le recueillement…
Merci pour ton blob,
François Radoniste AMS 44
PS : j’ai fait mon stage avec LA Bénédicte et LE George Pollian
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14 juillet 2019 at 20:03
Bonsoir François, je ne vois ton commentaire que maintenant !
Ils sont nombreux, les scenarios d’aventure qui sont passés par nos têtes sur ce petit sentier et qui donneraient de fabuleux romans ! Cette île a été pour moi et est encore aujourd’hui la plus grande source d’inspiration pour écrire, que ce soit dans le réel ou dans le fictif.
Le bourrasques d’hiver m’ont marquée aussi, les avoir dans le dos ou de face à l’aller/retour changeait radicalement le temps de trajet et le confort visuel haha.
Tu parles de ton stage de préparation à l’hivernage ? J’ai été attristée d’apprendre le décès de Bénédicte durant mon propre séjour, et ai confectionné en sa mémoire une affiche expliquant son implication dans la recherche sur Ams que j’ai affichée à Pte B.
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