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Ile d’Amsterdam. Source: IPEV

Les TAAF :

Je pars dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises, autrement dit les TAAF. Les TAAF sont un Territoire d’Outre Mer (TOM) français, composé de cinq districts:

. L’archipel des Crozet

. L’archipel des Kerguelen

. Les îles Saint-Paul et Amsterdam

. La Terre Adélie (sur le continent antarctique)

. Les îles Éparses de l’Océan Indien

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Je me rends plus précisément sur le ‘district de Saint-Paul et Amsterdam’ composé de deux iles: l’Ile Saint-Paul, et l’Ile Amsterdam (captain obvious, hello there!).

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L’Ile St-Paul n’est jamais habitée, elle n’est visitée que très occasionnellement pour des mesures scientifiques. C’est donc sur l’Ile Amsterdam que je vais vivre pendant plus d’un an, sur la base Martin-de-Viviès. Il n’y a aucun habitant au sens courant du terme sur l’Ile Amsterdam, mais seulement des personnes comme moi qui viennent occuper les lieux pour un temps limité. Des scientifiques, des militaires, du personnel d’administration, en moyenne une vingtaine de personnes à l’année.

L’île Amsterdam

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Cliquez sur l’image pour la voir en grand

Géographie et géomorphologie

L’île Amsterdam est donc située en plein cœur de l’océan Indien, avec pour coordonnées exactes 37°50′00″S 77°31′00″E (copiez/collez ça dans la barre de recherche de Google Earth et vous pourrez visiter le caillou en 3D!) (n’oubliez pas d’activer les « bâtiment en 3D », vous aurez une surprise en vous rendant sur la base au Nord de l’île!).

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C’est presque pas perdu au milieu de nulle part.

Question longitude, c’est dans l’exact prolongement de la pointe Sud de l’Inde, elle aussi à une longitude de 77°31′00″E (mais latitude de 08°10′00″N) 🙂

Arrêtons nous maintenant un instant sur cette latitude de 37° Sud. À titre de comparaison :

  • C’est plus éloigné du pôle Sud que la majorité de la Nouvelle-Zélande, de même que pour le Sud de l’Australie, en particulier la Tasmanie
  • C’est bien plus éloigné du pôle Sud que toute l’extrémité Sud de l’Amérique du Sud (beaucoup de ‘Sud’!)
  • Mais surtout, c’est plus proche de l’équateur que la France!

Oui oui, vous m’avez bien lue. Certains pensent encore que je pars à l’extrême Sud de la planète, mais ça n’est pas si extrême que ça, du moins pas latitudinalement parlant (il est fort probable que ce mot n’existe pas, mes excuses!).

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La répartition des masses continentales dans les deux hémisphères est clairement dissymétrique. Sont mises en évidence la latitude de l’île Amsterdam et son homologue dans l’hémisphère Nord. Vous voyez que la majorité des terres (France inclue) de ce dernier sont plus proches du pôle Nord que je ne le serai du pôle Sud.

Cependant vous verrez dans la partie « Climat » que je n’aurai pas les mêmes températures qu’en Andalousie malgré notre latitude absolue commune… 😉

Quelques détails :

L’île Amsterdam est presque totalement entourée de falaises de 30 à 60 m d’altitude dues à l’érosion marine. Seule une étroite échancrure au nord, permet un accès maritime. C’est là que la station scientifique Martin-de-Viviès a été établie. La partie occidentale de l’île est entaillée par de très hautes falaises de 600-700 m.

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Petites indications géographiques et géomorphologiques sur l’île.

Géologie

L’île Amsterdam, tout comme celle de St Paul qui l’accompagne, est un stratovolcan situé sur la dorsale Sud-Est indienne. Cette dorsale sépare la plaque antarctique au Sud de la plaque australienne au Nord. D’ailleurs, pour être plus précise, les îles sont situées du côté de la plaque antarctique, et Amsterdam est le volcan émergé le plus nordique de cette plaque.

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Toutes les plaques tectoniques ne sont pas mises en évidence sur cette image, se référer à l’image ci-dessous pour plus de précision. (Source de l’image de fond)

Vous trouverez ici à titre d’indication une carte de la découpe des différentes plaques tectoniques du globe :

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Et ici un zoom sur la zone concernée :

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Lignes doubles: axe de la ride Sud-Est-Indienne // Lignes pleines: failles transformantes // Tiretés: lignes de crête de la dorsale océanique (d’après Nougier, 1982) (Source)

La formation de l’île Amsterdam est estimée à 700 000 ans (avec une activité volcanique paroxysmale il y a 300 000 ans), contre 100 000 ans pour celle de sa voisine St-Paul (avec une activité paroxysmale il y a 50 000 ans). L’activité volcanique la plus récente semble remonter à une ou deux centaines d’années seulement, avec la formation de petits cônes éruptifs, mais les dernières coulées de lave en tant que telles remonteraient à une dizaine de milliers d’années.

Pour aller un peu plus loin :

Quelques précisions supplémentaires pour les collègues géologues et ceux que ça intéresse :

Le plateau sous-marin d’Amsterdam – St Paul (250 km x 200 km) est le seul plateau océanique de l’océan Indien à être traversé par une dorsale (comme l’est l’Islande dans l’Atlantique Nord). Il est lié à la présence d’un point chaud (panache d’origine profonde) contrôlé par des zones de faiblesse lithosphériques, et s’est formé il y a moins de 5 millions d’années.

L’édification du volcan d’Amsterdam s’est faite au cours de deux épisodes de croissance conique accompagnés par la formation de petites caldeiras. La première étape a été la construction du paléo-volcan Fernand, dont subsiste aujourd’hui le mont du Fernand (noté sur la figure des détails géographiques plus haut). La caldeira du centre éruptif le plus récent (néo-volcan de la Dives, à 2 km en direction ENE de la précédente) contenait un lac de lave qui a alimenté plusieurs étapes d’épanchement vers l’Ouest puis le Nord. Des éruptions tardives et mineures ont formé plusieurs dizaines de cônes de scories et de nombreux petits écoulements de lave.

L’île est de façon bien monotone constituée de basaltes, transitionnels entre les tholéiites et les basaltes alcalins. La partie Sud-Ouest de l’île s’est effondrée le long de deux failles orientées respectivement N20° et N330° formant les falaises impressionnantes de 700 m de hauteur.

La carte géologique de l’océan Indien, dont l’image en noir et blanc ci-dessous peut-être utilisée comme légende, semble montrer que l’île se trouve au niveau d’un fond océanique pliocène.

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Histoire

Les îles Saint-Paul et Amsterdam ont été les premières des TAAF actuelles à être découvertes. La première mention que l’on a retrouvée d’elles remonte au XVIè siècle, lorsqu’en 1522 l’espagnol Sebastian Del Caño, de retour de l’expédition de Magellan mort au Philippines, découvre l’île de Saint Paul (qu’il baptise à l’époque « Sao Paulo »). L’île Amsterdam est quand à elle découverte seulement un siècle plus tard, en 1633 par le Hollandais Van Diemen qui la baptise Nieuw Amsterdam.

Ces îles ont été par la suite régulièrement visitées par des missions cartographiques et scientifiques, mais aussi par des phoquiers français intéressés par l’exploitation des langoustes et des mammifères marins très présents sur place, et en particulier de la fourrure à reflet doré des otaries d’Amsterdam. Ces dernières disparaissent quasiment entièrement suite à ce commerce du XIXè siècle.

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Carte géologique de l’île du XIXe siècle (source)

La possession de l’île Amsterdam par la France remonte au 1er Juillet 1843, et la présence d’un personnel temporaire est assurée sans discontinuité depuis 1949 sur le district. C’est cette année là que Paul de Martin de Viviès, météorologue et explorateur français, installa avec une vingtaine de collaborateurs la première base météo sur l’île. À sa mort en 1971 la base a repris son nom, « base Martin de Viviès » (elle s’est appelée avant ça « le Camp Heurtin » puis « la Roche Godon » en 1961 (c’est encore ce nom que vous verrez apparaître sur Google Earth)).

Les « habitants » de l’île sont appelés les amstellodamois. Je serai donc une amstellodamoise pendant un an! 🙂

 


Climat

La dissymétrie des hémisphères et ses conséquences sur le climat

Le district d’Amsterdam présente le climat le plus clément des îles subantarctiques et par conséquent des TAAF dans leur totalité (si on met de côté les îles Éparses sur lesquelles il n’y a pas d’hivernages). La différence avec le climat bien plus froid des Kerguelen et de Crozet s’explique par leurs latitudes et par la particularité des circulations de courants marins dans l’hémisphère Sud, elle même entrainée par la répartition des continents dans cette partie du globe.

Les deux hémisphères sont très différents sur ce point. L’hémisphère Sud présente moins de masses continentales que le Nord, mais a la particularité d’en posséder au niveau du pôle. La calotte antarctique est ainsi située aux latitudes les plus extrêmes, sur un continent entièrement entouré d’océans qui l’isolent du reste du monde depuis l’ouverture du passage de Drake entre l’Amérique du Sud et la péninsule antarctique il y a 25-20 millions d’années. Cet évènement tectonique est reconnu comme l’un des éléments initiateurs des glaciations en Antarctique.

Il a en effet permis la mise en place du courant circumpolaire, un courant marin de l’océan Austral qui charrie 150 millions de mètres cubes d’eaux froides par seconde d’Ouest en Est autour du continent antarctique. C’est l’un des facteurs qui expliquent qu’on trouve des températures plus froides dans l’hémisphère Sud que dans l’hémisphère Nord à latitudes égales.

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Les trois districts subantarctiques des TAAF sont situés en limite des convergences antarctique et subtropicale qui séparent des masses d’eau de température et salinité différentes. Après de nombreuses recherches et informations contradictoires je reste cependant incertaine sur la position exacte des îles par rapport à ces convergences.

Concrètement sur l’île Amsterdam

Son climat est un climat océanique tempéré, sans neige ni gelée mais avec un vent constant d’ouest. C’est grosso-modo un climat breton en plus venteux et plus humide!

Les vents violents dans cette région du globe sont connus et redoutés des navigateurs. Ils sont d’autant plus marqués un peu plus au Sud (cf figure qui suit), où ils sont surnommés les quarantièmes rugissants et les cinquantièmes hurlants. Leur intensité s’explique par le fait qu’ils ne rencontrent que la pointe sud de l’Amérique du Sud, la Nouvelle-Zélande et la Tasmanie sur leur passage et ne sont donc que très peu freinés.

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Mise en évidence des quarantièmes rugissants (entre 40°S et 50°S) et des cinquantièmes hurlants (entre 50°S et 60°S), zones où sévissent de violents vents d’ouest.

La température moyenne au niveau de la base Martin de Viviès est de 14°C, et ça reste tout à fait supportable! La température de l’eau oscille entre 10 et 18°C, contre quelques degrés seulement à Crozet ou Kerguelen.

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Source

On ne retrouve le climat plus froid de Kerguelen et Crozet qu’au dessus de 500 m d’altitude sur l’île Amsterdam. En plus du vent, les trois districts ont en commun la dureté de la mer (qui rend la baignade en combinaison la plupart du temps interdite, avec quelques exceptions dans l’année seulement). Crozet est le district où le temps est le plus mauvais, avec 300 jours par an de pluie ou neige, et une tempête tous les 3 jours en moyenne…!


Faune

Si je ne pars pas sur le continent antarctique au milieu des manchots empereurs, la faune de l’île Amsterdam ne se prive pas de nous rappeler que nous sommes bel et bien en territoire subantarctique.

Petite note en passant : il n’y a pas de pingouins à Amsterdam, tout comme à échelle plus large il n’y a pas de pingouins dans l’hémisphère Sud 😉 Par contre vous trouverez des millions de manchots sur les îles subantarctiques ! Cette confusion de langage est souvent due au fait que nos amis anglophones n’utilisent qu’un seul terme pour désigner les pingouins et les manchots : « penguins ».

Les espèces présentes naturellement :

Deux endroits en particulier sont le refuge d’espèces endémiques de l’île :

  1. le grand plateau des tourbières culminant à 500 m d’altitude, abritant l’albatros d’Amsterdam (celui ne présentant que 33 couples reproducteurs au monde, tous ici). Cette espèce est classée comme étant « en danger critique d’extinction », dernier stade dans l’échelle des statuts de conservation avant ceux d’extinctions à l’état naturel ou totale.
  2. le site d’Entrecasteaux, magnifique cirque au Sud-Ouest de l’île protégé de toute part par les falaises vertigineuses, où se réfugient des dizaines de milliers d’albatros à bec jaune et de gorfous sauteurs (seuls représentants des manchots à Amsterdam), ainsi que quelques pétrels et albatros fuligineux à dos sombre.
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Les deux zones réservées à la recherche scientifique et technique de l’île d’Amsterdam (elle même entièrement classée Réserve Naturelle comme l’ensemble des TAAF)

Ces zones sont strictement protégées et il faut des autorisations spéciales pour s’y rendre. Je n’aurai l’occasion de les voir qu’en accompagnant l’ornithologue pour l’aider dans son travail, après que le droit m’en ait été accordé. Nous avons aussi interdiction de porter les mêmes vêtements pour se rendre dans les 2 sites (sur toute la durée de l’hivernage), pour éviter toute propagation d’éventuelles maladies d’une colonie d’oiseaux à l’autre.

Par ailleurs, on trouve sur l’île et dans ses alentours des quantités d’otaries d’Amsterdam, d’éléphants de mer, de phoques, d’orques, de baleines, de langoustes, de poissons, … Il n’y a aucun reptile ni amphibien.

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Liste non exhaustive de la faune « naturelle » sur et autour de l’île Amsterdam. Photos récupérées sur wikipedia à l’exception de la sterne et de l’otarie dont les photos proviennent du blog officiel d’Ams.

Les espèces importées par l’Homme :

Les terres subantarctiques françaises n’ont pas toujours été classées en réserve naturelle protégée. Depuis les premiers séjours des Hommes sur l’île Amsterdam, des espèces animales extérieures y ont malheureusement été importées de façon plus ou moins volontaire. Pendant des dizaines d’années les missions successives ont ainsi cohabité avec le troupeau de vaches d’Amsterdam, qui servait de garde-manger à portée de main et qui accessoirement aussi a décimé une grande partie de la végétation endémique de l’île. L’origine de ce troupeau, qui a été totalement décimé sur ordre ministériel il y a quelques années suivant une politique de retour à une protection maximale de l’environnement des TAAF, remonte à 1870 lorsque la famille réunionnaise Heurtin a tenté de venir s’installer avec ses vaches sur l’île. Il y a eu jusqu’à 3000 têtes bovines sur place avant que le troupeau ne soit régulé en 1980 (descendant à 500 bêtes).

En vous promenant sur l’île, vous observeriez aussi très certainement beaucoup de rats / souris, et avec un peu de chance quelques chats sauvages. Les premiers sont même parfois retrouvés dans les ordinateurs ou appareils de mesure, alors que les seconds ne sont aperçus qu’une poignée de fois au cours de l’hivernage. En tout cas, tous sont friands de pétrels… !


Flore

Contrairement à la faune qu’on trouve en abondance exceptionnelle dans les TAAF, la flore y est très pauvre et l’île Amsterdam se démarque du lot en présentant sur son sol les seuls arbres des îles subantarctiques (excepté un pommier planté sur la base de Crozet).

Si on ne devait retenir qu’une espèce végétale d’Amsterdam, ce serait ainsi sans aucun doute le phylica. Cet arbuste endémique à l’île a bien failli disparaître totalement de la surface de la Terre et a été sauvé de justesse il y a quelques années. En effet, alors qu’il recouvrait à l’origine presque toute la partie basse du volcan, il a petit à petit été décimé par des incendies, par son exploitation, et par les vaches. Seul un petit bois a survécu à ces assauts, et aujourd’hui un programme scientifique est dédié à sa re-plantation sur l’île.

Le reste de la végétation est de type herbacé, les vents violents empêchant une plus grande taille.


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Sources:

  • Doucet S, Giret A, Weis D, Scoates J, 2003. Les îles Amsterdam et Saint-Paul. Géologues, 137: 10-15.
  • Gunn B M, Abranson E C, Nougier J, Watkins N D, Hajash A, 1971. Amsterdam Island, an isolated volcano in the southern Indian Ocean. Contr Mineral Petr, 32: 79-92.
  • Janin, M. Le plateau d’Amsterdam-St Paul : Caractérisation du point chaud éponyme et évolution de son interaction avec la dorsale Sud-est indienne. Applied geology. Thèse, Université de Bretagne occidentale – Brest; Universite Europeenne de Bretagne, 2010.
  • Terres Australes – Terre de Feu, Falkland, Georgie du Sud, Terres Australes Françaises, Péninsule Antarctique. Guides Grand Nord, Edition Grand Nord Grand Large, Les voyages d’expériences
  • Blog officiel du district
  • Global Volcanism Program
  • Earth of Fire
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