Bonsoir…
Cet article et les suivants ont quelque chose de frustrant. Frustrant car pas à la hauteur de ce que j’ai pu ressentir, tant dans leurs mots que dans leurs photos. J’ai capturé très peu d’images sur carte SD pendant mes trois semaines sur Ams, car aussi étrange que cela puisse paraître je n’en ressentais pas l’envie. J’ai pris très peu le temps d’écrire aussi, pourtant ça j’en avais envie parce que j’aurais aimé partager plus avec vous. Mais ça a été ma décision égoïste de chaque instant sur place : profiter de l’inimaginablement bon et ne pas perdre une seconde à s’en éloigner.
Désolée, voici quand même un bon morceau de cœur… 🙂 ❤ :
Dimanche 26 novembre
Petit matin.
Nous sommes repartis de Ker depuis quelques jours maintenant. Cette poignée de fois 24h de l’OP3 entre Ker et Ams où le bateau est bien vide et silencieux, saupoudré de monotonie qui traine en longueur. Il y a deux ans j’avais hâte d’arriver enfin sur mon caillou, mais cette fois-ci c’est différent. Je n’ai pas hâte, j’aimerais même que le temps s’éternise… Parce que je sais que dès l’instant où je poserai le pied sur la DZ passagers de la base Martin-de-Viviès un compte à rebours fou va s’enclencher, un tic-tac défilant plus vite que la lumière et qui me ramènera en l’espace d’un soupir sur cette même DZ pour me remporter dans les airs. Alors je savoure cette attente, tout en souriant intérieurement de l’impatience de plus en plus notable des VSC qui s’apprêtent à commencer leur hivernage.
Comme très régulièrement lors de ses rotations, quelques heures avant d’arriver à Ams, le Marion Dufresne fait une halte devant l’île Saint Paul 85 km plus au sud. Saint Paul, la toute petite voisine qu’on aperçoit par très beau temps depuis les sommets de l’île (souvenez-vous des photos que j’en avais prises lors de plusieurs manips :)) Le petit cratère immergé en son cœur m’offre pour ma deuxième visite le plaisir d’être totalement découvert. Plus de nuages cachant ses hauteurs pourtant pas très hautes, mais une belle lumière de lever du jour en guise d’accueil ❤
Nous ne restons pas longtemps à Saint Paul. Le temps de déposer par hélicoptère une équipe de quelques scientifiques et responsables de l’IPEV qui vont rester sur place pendant le temps de l’OP à Ams (article sur le blog officiel du district), et le Marion met déjà les gaz plein Nord.
Ams.
Ams. Ams. Ams. Elle est là.
La tour de contrôle perd le contrôle, les bouchons à émotions sautent comme un liège de champagne au premier de l’an, et mes yeux font un tour à la piscine. Ça déborde pas, je vous rassure, ça reste là au-dessus de mes cils du bas, mais ça secoue quand même un peu. Beaucoup. J’sais pas si ça peut se comprendre quand on l’a pas vécu, j’sais pas si ça parait exagéré vu de l’extérieur, j’arrive pas à le voir de l’extérieur. Parce que c’est Ams là devant moi, bon sang. J’en perds mes mots.
Le Marion stationne au sud-est de l’île devant la cabane d’Entrecasteaux que je découvre pour la première fois depuis le large. Comme il est drôle et fou de revoir ces quelques planches branlantes 15 mois après y avoir séjourné 10 jours en plein cœur de l’hiver austral. La dernière fois que mes yeux se sont posés sur ces abris, c’était lors de la manip pour aller au Mont Fernand après l’OP2. La manip où on avait dû dormir à 6 dans une tente de 3, ça vous rappelle quelque chose ? 😀 Sur le transit, on avait pu voir depuis le haut des falaises nos amis tout juste arrivés à Entrecasteaux en contrebas.
« Yann !! Léa ! On voit Pointe B !!!! »
C’est le premier bâtiment qui se présente à nous. Avant même ses murs orange, c’est le mât que l’on repère droit comme un i sur la pente douce qui surplombe les falaises.
Sur le pont du bateau, je partage avec Joyce ce moment d’excitation que nous seules semblons partager et pouvoir comprendre aux alentours. Enfin, nous seules et nos deux jeunes padawans Yann et Léa qui vont s’occuper de nos deux programmes de chimie atmosphérique pendant un an. On trépigne et on bombarde de photos.
Les horaires des hélicoptères et le plan d’hébergement sur base sont affichés devant le bureau de l’OPEA. Je descends dans le premier hélicoptère après ceux des hivernants, et je partagerai ma chambre avec Joyce au Chionis (jamais dormi dans ce bâtiment-là encore !). Après le départ du Marion dans quelques jours, et comme Joyce repart malheureusement avec lui, j’aurai la chambre pour moi toute seule pendant mon mois de campagne d’été.
Mes bagages sont déposés dans la caisse prévue à cet effet et qui va être hélitreuillée dans quelques heures, je ne garde avec moi que mon petit sac à dos.
Dimanche 26 novembre (toujours), 17h09
……..
Wow.
W.O.W.
Quelle claque. En plein dans la face, en plein dans le cœur, en plein dans la machine à humidifier les yeux. Je suis perdue dans une mare d’émotions qui pétaradent dans toutes les directions. J’ai beau savoir que je reviens depuis plus de 6 mois maintenant, j’ai beau avoir reposé le pied sur Ams il y a plusieurs heures déjà, je n’arrive PAS à y croire. Ça ne veut pas.
Retour en arrière
Les dernières minutes dans le Marion ont été longues, très longues. Cette fameuse attente dans le couloir donnant sur la DZ, où s’entassent passagers et sacs sur le départ, fait rater quelques battements à mon cœur. Je suis à quelques instant de retrouver Ams, et ça trépigne en moi plus encore que ça n’avait été le cas avant mon débarquement pour l’hivernage.
La première rotation d’hélico part avec le courrier, puis la seconde avec 5 VSC en partance pour 13 mois de folle aventure. La troisième est pour moi.
Je m’installe à l’arrière de l’hélicoptère, entre deux amis commis de cuisine et campagnard d’été de la réserve naturelle. On referme les portes, les pales de l’appareil s’emballent, et en une fraction de seconde nous sommes suspendus dans les airs. Un battement de paupières et nous fonçons droit sur base.
… !!!!!
Le pied est posé à terre, et tout s’enchaine bien vite. Je me dépêche de m’éloigner de l’hélicoptère pour sortir du périmètre de la DZ. Je déclipse mon gilet de sauvetage, le tend au pompier, pose mon gros sac à dos au sol, puis relève la tête…
Une bouffée d’air à plein poumons par les narines et les larmes pousseraient presque au portillon. Purée. Ce sont les muscles qui se relâchent d’un coup, les épaules qui retombent, les souvenirs qui canardent mon encéphale, et le cœur qui s’emballe. Je suis à la maison. Ces mots s’imposent si forts en moi qu’ils me frappent tant je ne m’y attendais pas. Bien sûr que j’avais hâte de revenir, bien sûr que je m’attendais à être émue, bien sûr. Mais je ne m’attendais certainement pas à me sentir si instantanément et si FORTEMENT de retour « chez moi ». C’est une sensation générale, autant physique que psychologique, un moulin à ressentis et à souvenirs qui s’active sans demander son reste.
Et puis, tout de suite, toutes ces têtes connues et souriantes qui apparaissent dans mon champ de vision. Florian, avec qui j’ai vécu 4 mois ici l’an passé, Maroune, Pi, Manon, Marine B., Jérémie, Adrien, Corentin, Audrey, avec qui j’ai passé mon dernier mois sur Ams en décembre 2016. Mais aussi Claudy et… Pierrot ! avec qui j’ai partagé de longs mois d’hivernage. Eh oui, je ne vous l’ai pas dit dans mon dernier article pour garder un peu de suspense mais je l’avais appris pendant mon séjour sur Kerguelen : au détour d’une conversation avec le cuistot là-bas, ce dernier m’avait glissé que je connaissais les deux ouvriers polyvalents actuellement sur Ams « Pierre et Claudy ».
Mon sourire atteint les oreilles et c’est tournée d’embrassades générales. Qu’il est bon de les retrouver. Qu’il est bon d’être là..
Mes yeux se perdent dans un vague qui ne l’est pas. « Réalise. » « réalise. » « réalise. » me répète en boucle mon cerveau. Mais rien n’y fait, je ne réalise pas. La vision de chaque bâtiment me ferait pleurer si je lâchais la vanne fermement maintenue de mes émotions. Comment est-il possible de ne réaliser que maintenant à quel point tout cela m’a bien plus manqué que ce que je ne me suis jamais avoué ? On dit qu’on ne se rend compte de l’importance qu’avait une chose dans notre vie que lorsqu’elle vient à manquer ou disparaître. Pour moi, cette prise de conscience est encore plus forte à l’heure des retrouvailles qu’à l’heure du départ il y a bientôt un an. Je viens à peine de remettre le pied sur l’île que la douleur d’une nouvelle séparation (a priori définitive) dans moins d’un mois me saisis déjà. Ici je me sens moi… et ça veut tant dire.
J’ère un peu sur la base, les yeux si grand ouverts que mes cils iraient presque se fondre dans mes sourcils.
Home.
Je ne sais pas trop où est qui, je crois que j’ai besoin de ces instants de retrouvailles toute seule. Je m’échappe vers la MAE (reminder : la Mare Aux Elephants, portion de côte à proximité de la base où l’on étudie les otaries), alors que je repère au loin le groupe des touristes qui s’y dirige accompagné de Manon, Florian et son remplaçant Dom arrivé il y a 3 mois.
.
Et puis l’OP c’est l’OP. Je quitte mon état d’errance sentimentale et participe au dépotage (réception de toutes les vivres déposées par hélicoptère, chaine humaine pour les sortir des caisses et les mettre en chambres froides ou à l’épicerie). Je quitte mon état d’errance et plonge dans l’euphorie si spéciale des soirées d’OP au Skua, où les premiers contacts se font avec les militaires et contractuels de la mission Ams69. Je quitte l’errance et savoure les derniers moments passés avec Joyce, avec Baptiste, avec Fred, ces personnes auxquelles on tient mais qui ne restent pas en campagne et repartent avec le Marion.
Ça commence à peine, mais je crois que je vais vous laisser ici pour ce soir.
15 février 2018 at 06:05
Un mot, un seul : WAHOU !
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15 février 2018 at 07:57
C’est superbe, les photos, le récit. Merci.
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15 février 2018 at 10:27
Et revoilà l’Isabelle qui réussit à nous faire pleurer d’émotion avec ce retour que l’on partage si intensément et que l’on envie !
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15 février 2018 at 18:28
Envoyé depuis mon appareil mobile Samsung.
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16 février 2018 at 19:23
Bonjour Isabelle,
Toujours autant d’émotion dans le texte et de précision dans les photos. Je lis et je regarde tout cela avec un réel plaisir.
J’étais passager touriste lors de l’OP1-2017 (celle qui a suivi votre précédent départ d’AMS). Dans vos textes et vos photos je revois des lieux visités forcément rapidement. En vous lisant, l’émotion n’est pas loin pour moi aussi.
Nous avions passé trois nuits à Antonelli et Ribault drivés par Florian, guidés par Corentin, et visité Pointe B avec Maroune et Pierre-Yves qui vous ont succédé. Pour moi aussi, que de souvenirs, que vous faites revivre.
Le navigation à bord du Marion et la visite des îles sont pour moi un voyage que je ne suis pas près d’oublier. Merci pour cette piqure de rappel.Cdlt.
Jean-Jacques MOREAU
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18 février 2018 at 15:43
Enfin Ams…que de souvenirs laissés là-bas. Je ne suis pas étonné que ton retour ait été très émouvant.Merci pour ces lignes qui ont une saveur particulière maintenant que je connais ces lieux et certains des personnages 😉
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